vendredi 26 octobre 2007

V.W.: de l'hétéromobile

Elle ne sait pas où elle va mais, dans sa robe blanche, elle conduit merveilleusement.

Son hétéromobile est en flammes mais elle ne s'en inquiète pas, seule la différence est sa douce inquiétude.

Elle brûle et ne se consume pas. Profond mystère qui reste hors de ma portée. Un peu en arrière, je me contente d'être déplacé et c'est là ma chance.

Elle brûle et ne consomme rien. Second mystère hors de ma portée.

D'où vient cette énergie inépuisable?

Elle ne peut habiter le Dedans et le Dehors lui est fermé. Mystère du corps hors de ma portée mais qui m'est un enseignement précieux.

C'est mon enseignante. Ma gratitude est infinie.

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Farhad Ostavani

jeudi 25 octobre 2007

Pourquoi je ne poste pas la lettre au père ...

Pourquoi?, je ne l'ai jamais su mais dès que je l'ai su je ne me suis plus posé la question.

Dire que je le sais ne veut pas dire que je sois capable de savoir ce que je sais.

Je dois dire que mon père, travailleur infatigable au style simple et clair, trouvait que j'étais un coupeur de cheveux en quatre. Il avait toujours une plume de coq de bruyère à son chapeau de chasseur. Son fusil était avare de ses coups mais à chaque coup, il tuait. C'était un excellent chasseur, économe, honnête et droit comme un i (peut-être est-ce là l'origine de mes difficultés avec la virgule et de mon goût prononcé pour les italiques, les parenthèses, les crochets et les autres choses de la typographie tordue du coeur).

Il me fit cadeau de son fusil (un calibre 12). Ce fut une catastrophe, j'ai eu la honte de ma vie: impossible de le tenir en bandoulière (plus tard, j'ai ressenti la même honte avec l'appareil photographique).

Assez rapidement, j'ai su que le fusil était un problème considérable pour l'acheminement du courrier - d'autant plus que ce fusil avait été aussi celui de mon grand-père (un coq peu causant à la force physique redoutable, capable d'assommer un cheval de son coup de poing ou bien d'étrangler un fils d'un coup ou bien de forcer, sans coup férir, l'une de ses belle-filles).

Le diagnostic de mon oncle par alliance, Raphaël, fut brutal: j'avais reçu un coup de fusil en pleine poitrine et il n'était pas étonnant que j'aie du mal à écrire une lettre, plus encore de la poster. Il me prescrivit donc une opération des yeux.

Les progrès des sciences et des techniques sont d'une rare efficacité: l'opération au laser fut une totale réussite. Ma reconnaissance envers mon oncle est infinie car j'ai vu, soudainement, ce que je n'avais pu voir: j'étais la lettre que je pouvais enfin lire.

Inscription au grand registre de la dette: F.K.; A. D-W.; ...

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American ballet

Aimer/voir ... fragments sur les seins de Valentin

Voir l'invisible (sous ses différentes faces) est l'une des qualités essentielles de l'amour.

Il y a tout d'abord l'Un divisible (parfois nommé l'Unique dans "Mon Unique Amour"): faire deux de Un, par la séparation, c'est le faire réel de l'amour qui n'est pas un savoir faire de la fusion imaginaire (de deux faire Un).

Aimer c'est séparer afin d'être ce que je serai: multiple et insaisissable dans l'infini réseau des mots.

Ce que j'ai dit est déjà cendres. Ce que je vais dire est une flamme du devenir.

Mais il est possible de lire l'incandescence sous la cendre et de produire, avec le souffle, une flamme nouvelle.

Pour cela une ligne téléphonique entre le Trésor des mots et l'Un de l'Autre est de la plus haute importance. L'appareil de mon téléphone, je me dois de le dire, c'est le corps insubstituable de ma mère.

Inscription au registre de la dette: H.C.; J.L.;S.F.; ... ;V.W.; ...

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Baccio-Maria-Bacci

mercredi 24 octobre 2007

La tombe de l'amour ...

Tomber amoureux, tomber amoureuse, sont les expressions de la langue morte.

La tombe de l'amour c'est ce qui se présente en masse obscure: le malheur. Aimer le malheur de l'autre afin d'oublier le sien est une définition paradoxale du bonheur.

Peu refusent d'entrer dans la sombre maison de la mort. Il faut une forte intuition de la vie.

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Wihelm Hammershoi

mardi 23 octobre 2007

La douce dynamite du prix Nobel de littérature.

Doris Lessing est un auteur qui nous transmet l'esprit avec humour. "The grandmothers", texte de 2003 (éditions Flammarion), est un concentré d'humour explosif.

Le constat est clair: les sociétés hautement développées contemporaines ont liquidé la question du Père. C'est une solution finale réussie dont on mesure mal l'importance et la gravité car c'est aussi la fin d'un ancien ordre des choses.

Le nouvel ordre des choses (qui n'est pas si nouveau) est matriarcal.

Il est possible que ce nouvel ordre réduise considérablement la culture des névroses (ce que démontre le texte de Doris Lessing) mais ce qui est positif pour la nature c'est que cet ordre pourrait clore la terrible histoire de la terre: la présence humaine.

Ce serait la dernière bonne nouvelle.

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Claas Arnaud

Donner/prendre ...

L'amour de H.C. pour le téléphone est symètrique, en intensité, de sa haine pour l'appareil photographique.

C'est une question de flux et des moyens pour y faire face.

La vie est un flux vital que les mots peuvent ensérer dans les trous du filet. Aucun poisson d'argent n'y est retenu mais le vivace fait trace.

L'écriture est du côté du don: l'argent est donné sans compter. Plus on donne, plus il y en a. C'est là le miracle du trésor des mots.

Prendre une photographie c'est prendre ce qui est découpé par l'appareil dans le flux lumineux des couleurs. La prise du flux par l'image photographique est une rétention avaricieuse de l'objet, venu du réel de la lumière.

A la différence du tableau, une photographie ne me regarde pas, elle détruit l'objet cause du désir. C'était probablement là une des intuitions de M.D.: Le cinéma a pour fonction de détruire le livre disait-elle.

Inscription au registre de la dette: Hélène Cixous in "Si près" éd. Galilée

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Prise de la Loire par Jean-François Souchard

dimanche 21 octobre 2007

La douleur (conte pour l'enfant) ...

La source de ses larmes était obstruées depuis bien longtemps. Il n'en savait ni la raison ni la cause. Ce qu'il ne savait pas (ou bien ne voulait pas savoir) c'est qu'elle n'existait pas et que cela la faisait pleurer toutes les larmes de son corps.

Il avait toujours était assez ignorant de la vie mais elle en était la vérité même - c'était là sa chance.

Longtemps, ils n'avaient pas été du même bord. Ils se rencontraient sans se voir. Il s'en accommodait - comme tout les grands prédateurs de la jungle, elle en souffrait sur la plage déserte mais ne cédait pas; infatigable et patiente, elle marchait silencieusement toute les nuits.

Parfois, les mots inconnus et familiers nous tordent de douleur car le corps refuse la nudité de l'être.

Nu, exposé pour la première fois de sa vie à côté de son armure défaite, il la voit. Il accepte de marcher, à son côté, au bord de la mer.

La chance ne se présente jamais deux fois.

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Norbert Pagé

jeudi 11 octobre 2007

Aller au bord de la mer ...

Ils (c'est à dire une fille, un garçon et un enfant) arrivèrent, sur la motocyclette, à Lilederé.

Une première plage immense pour l'enfant: Rivedoux.

Des parcs à huitres immenses pour le père.

L'immensité tout simplement pour la mère.

Il y avait un livre fermé: Gilderé. L'enfant ne pouvait rien en savoir mais c'était une souffrance.

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Courbet

L'arrêt du train

"Un jeune homme descendit d'un train à Reading; ..." in A Love Child de Doris Lessing.

Première phrase du plus grand bonheur de l'écriture qui ouvre l'mmence espace de la lecture.

Descendre à Reading, une ville familiale du jeune homme où il s'ennuie à mourir, est une trouvaille géniale car elle actualise l'origine même de l'écriture: traduire ce qui s'est déposé dans le granit de la montagne. Il n'y a plus de buissons ardents mais les gigantesques glaciers qui attendent la fonte.

L'écriture est du côté de l'humide.

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Anselm Kiefer

mercredi 10 octobre 2007

De l'expulsion ...

Depuis la nuit des temps, une poussée vers le dehors est devenue sa nuit.

L'expulsion est sa secrète jouissance, un noeud mortellement serré.

Expulsée du lieu où Il aurait pu habiter. C'est là son errance.

Tout fut reconduit à la frontière, même le trésor - sa partie la plus intime devenue intraductible.

Se conduire reste la difficulté essentielle.

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Soulages Pierre

mardi 9 octobre 2007

Le lieu de la parole ...


Sporadiquement, des écrivains, des philosophes, des créateurs, sont piégés dans la mise en scène télévisuelle.

L'émission de télévision de France 3 intitulée "Ce soir (ou jamais!)" - (titre à l'allure branchée), magazine dit culturel animé par Frédéric Taddeï, est un bel exemple de piège à "intellectuels".

Le thème de l'émission était celui-ci: A t'on le droit de dire du bien de la colonisation? La République est-elle raciste?

La formulation du thème est déjà la présentation d'un cirque médiatique.

Ce qui est difficilement compréhensible c'est que des écrivains et des philosophes, avertis sur les conditions nécessaires à l'émission d'une parole, se fassent piéger.

Jacques Derrida (il y a un certain temps dans une émission dite littéraire de Guillaume Durand) et Hélène Cixous (ce lundi 08 octobre à l'émission "Ce soir (ou jamais!)) ont accepté d'entrer dans l'arène du cirque médiatique et y ont laissé quelques plumes de l'ange de la parole.

La mise en scène télévisuelle (qui ne voit pas si loin que ça) bloque, par l'image animée, le lieu de la parole. Il n'y a aucune chance ni pour le sujet du désir inconscient ni pour une parole de vérité.

Il est possible que l'on puisse accepter d'entrer dans l'arène du cirque pour combattre tout en sachant de quoi l'on se démet. C'est un choix extrêmement risqué pour un auteur car il accepte par avance sa mise à mort.

"Ce soir (ou jamais!)" était un vrai cirque avec animaux féroces et "gladiauteurs". Il était très pénible de voir et d'entendre une femme qui est la finesse même sur la question délicate de la différence sexuelle - Hélène Cixous - se faire dévorer par les grands animaux de la parade phallique (dont l'un des plus éminent: un "historien" qui a pour nom Pascal Blanchard).

lundi 8 octobre 2007

Atermoyer


Le terme de chaque jour est souvent atermoyé.

La créance court toujours, la culpabilité s'accroît dans la nuit du dehors.

Mais il y a l'échéance dernière, celle qui ne peut être différée au dernier jour des jours.

Les derniers mots, souvent, disent le regret de ne pas avoir pu honorer la dette de la vie.

dimanche 7 octobre 2007

Conte pour enfant (3): la pauvreté de la Cloche


Sa mère lui reprochait de ne pas avoir "embrasser" une profession (voire une carrière) qui fasse honneur à la famille. La déception, immense, était à la mesure des espérances insensées d'une fille qui n'avait pu grandir vers sa vocation de femme.

C'était une fille courageuse qui avait trouvé dans le travail têtu et sacrificiel une preuve de son existence.

Elle avait occupé un poste qui lui tenait à coeur: directrice des grottes pétrifiantes d'un village connu, localement, pour la fabrication des savons. La pétrification était probablement sa vérité bien qu'elle ne sût rien de sa filiation mythique.

Lors d'un accident malheureux, elle rencontra un garçon qui semblait prometteur: il postulait, à ce moment, afin de devenir Président d'Honneur d'une société qui avait pour nom La Cloche d'Or. Poste prestigieux qui correspondait parfaitement à ses capacités réelles et à son destin.

La Cloche d'Or a un revers: elle est bien trop précieuse pour être frappée. Jamais elle ne sonne ni ne résonne. Ce fut là le drame de leur mariage.

Elle sut immédiatement que quelque chose clochait mais jamais elle ne put se le formuler clairement, sauf à la fin de sa [vie] lorsqu'elle eut ces dernières paroles sur la réalité de la métaphore première du malheureux garçon: C'est une pauvre cloche.

L'enfant, durant toute sa [vie] tenta de retrouver le secret de fabrication de la Cloche, le secret d'une Parole qui résonne dans l'air du soir, lorsque les oiseaux cessent leur chant.

jeudi 4 octobre 2007

De la honte d'être un homme ...


"Quiconque a éprouvé cette honte silencieuse d'être un homme a coupé en lui tout lien avec le pouvoir politique dans lequel il vit."

G. Agamben in "Moyens sans fins"; éd. Paris, Rivages.

Peut-être est-il possible de dire que la honte est l'affect fondamental qui nous permet de renouer avec notre statut de sujet du désir inconscient: avoir honte du simulacre de la vie que nous "menons" vers le pire: l'état de mort-vivant, état fantomatique qui nous fait sourd à l'appel du spectre: Donne moi une véritable sépulture de vivant-mort pour que toi tu en deviennes vivant

Renouer avec ce qui était dénié par le discours du politique c'est s'opposer éthiquement au cynisme du discours du politique et ses maîtres mots.

L'actualité vient confirmer la honte qui devrait rougir les visages: les populations de Birmanie qui cherchent à s'opposer à une dictature militaire criminelle.

Le totalitarisme de l'économie de marché continue sa propre tyrannie sur les sociétés humaines: Le groupe pétrolier Total et la classe politique française continuent de dire oui à la criminalité contre l'humain.

mercredi 3 octobre 2007

Prédateurs, profanateurs et charognards ...



Le discours dominant met au poste de commande des maîtres mots qui sont également les mots du maître. Le maître mot travail est l'un d'eux, l'un des plus redoutables car il intime la servitude "volontaire", servitude qui veut dire le renoncement à la liberté. La retraite devient, dans ce cadre, une compensation modique de la servitude qui laisse, le plus souvent, le travailleur (ou bien la travailleuse) face à sa misère: n'être rien.

Le travail de l'inconscient - le travailleur infatigable par excellence, met en jeu la liberté du désir du sujet de l'inconscient, liberté entendue comme l'assentiment donné à la loi symbolique du désir c'est à dire la loi même de la parole. Sigmund Freud, à l'égal des créateurs divers, était un travailleur infatigable et acharné.

D'autres maîtres mots opèrent dans le discours du cynique: société, sexualité, culture et quelques autres dont la communication.

La révolution (enjeu politique d'une société) et l'ambition (enjeu politique d'un individu) ont fait place à deux problématiques récurrentes: la société (voire le sociétal - mot obscène) et la sexualité.

Les travailleurs acharnés de l'écriture, dont Sade ("Français, encore un effort") et Flaubert ("L'éducation sentimentale"), ont mis au jour les grandes transformations de quelques maîtres mots du discours cynique: la révolution et la reproduction de l'espèce humaine. Les grandsproblèmes de société démontrent que la révolution est devenue impossible, les problèmes de la sexualité (qui inondent le monde par la communication de masse) démontrent que la reproduction de l'espèce humaine n'offre aucun mystère ni intérêt sauf pour la statistique démographique et ses enjeux politiques de masse.

La société de consommation (en partie analysée par Guy Debord depuis la thématique philosophique de l'aliénation) introduit la discontinuité dans la transmission générationnelle. La marchandise présentifie, en une sorte de sorcellerie (le fétiche) le point zéro de l'échange: l'exclusion du travail et de son histoire dans la production d'un objet.

L'échange marchand a un autre effet assez inattendu: la sacralisation c'est à dire la confiscation de l'usage. La sexualité est ainsi sacralisée afin d'en confisquer la libre jouissance (la pornographie en est le symptôme le plus flagrant).

Deux grands enjeux donc face au pire à venir des sociétés occidentales: réintroduire la continuité dans l'histoire générationnelle par une prédation de l'écriture, profaner la sacralisation et la confiscation des usages de jouissance (jouissance du féminin, jouissance de l'acte créatif, métaphorepoétique ...) par la sphère marchande.

La prédation nouée à l'écriture est ici un mot paradoxal. Les grands textes sont des proies qui nous permettent, dans l'ordre temporel, de réintroduire une continuité entre le passé, le futur et le présent.

En un sens, les manipulateurs du discours social du maître sont des charognards car ils consomment et détruisent ce qui fut lentement accumulé dans la civilisation.